De manière générale, peu de villes africaines bénéficient d’un parc de bus moderne, bien entretenu et exploité de manière efficace.
Les autorités nationales et/ou métropolitaines ont souvent maintenu l’utilisation de bus standards (ou bus conventionnels), parfois en faisant abstraction des conditions urbaines et d’exploitation propres à chaque ville. Or, les bus standards sont rarement performants dans des territoires urbains où les infrastructures routières secondaires et tertiaires souffrent d’un déficit d’entretien et d’investissement et dans des contextes où les densités urbaines ne garantissent pas une demande minimale pour le transport public (notamment les périphéries des villes). Le choix des véhicules a donc résulté plus d’une idée de compagnie de bus traditionnelle que d’une analyse du contexte d’exploitation, négligeant de fait les possibilités liées à l’utilisation de véhicules moins capacitaires sur certaines lignes du réseau. À titre d’exemple, seules Bujumbura (Burundi) ou Douala (Cameroun), ont opté récemment pour l’utilisation de minibus.
Cette préférence des autorités pour les bus standards n’a pas empêché l’apparition de services artisanaux fondés sur l’utilisation de véhicules de moyenne voire petite taille (minibus ou équivalents). Les compagnies institutionnelles se retrouvent à gérer des véhicules relativement neufs mais peu adaptés aux contextes locaux d’exploitation face à un secteur artisanal dynamique, qui lui utilise des minibus (ou équivalents) âgés d’environ 25 ans, voire 30 dans les cas les plus extrêmes.
Mais l’offre artisanale a aussi ses limites. Dans des villes comme Abidjan, Dakar ou Johannesburg l’offre de minibus (ou d’autres véhicules de taille comparable) est largement supérieure à la demande. Cette suroffre se traduit par une efficacité limitée et en niveaux de congestion élevés pendant que le secteur institutionnel ne présente pas assez de véhicules pour répondre à la demande et doivent en plus se conformer aux conditions dictées par le secteur des minibus.
Sans contrôle des autorités, bus et minibus se retrouvent en concurrence directe, au désavantage des exploitants des véhicules les plus capacitaires. Et la situation ne fait que s’aggraver lorsque ces dynamiques ne sont pas prises en compte. L’arrivée des services de taxi collectif et, plus récemment, l’essor des mototaxis ont aussi un impact sur le nombre d’usagers de bus et minibus ; sans inversion de la tendance, les bus seront les premiers à subir les effets de cette concurrence déloyale, verront leur demande diminuer et entreront dans un cercle vicieux difficile à casser : sans revenus suffisants pour couvrir les coûts d’exploitation, le besoin de subventions augmente et le manque d’investissement se fait plus important, les opérateurs peinant ensuite à exploiter leurs véhicules faute d’entretien, cela entraînant à nouveau une baisse des revenus et ainsi de suite.
Pour comparer la performance des véhicules de transport, il suffit d’analyser les coûts d’exploitation. Les coûts d’investissements, bien qu’élevés initialement, n’interviennent pas directement dans l’exploitation et dans la performance quotidienne des véhicules. Mais le choix du type de véhicule utilisé a un impact sur la performance. Selon des données récentes, les coûts d’exploitation en €/km s’avèrent être plus élevés pour un bus conventionnel que pour les véhicules de plus petite taille (midibus et minibus). Néanmoins, si on calcule ce coût d’exploitation par passager, les différences disparaissent. Si cela met en valeur l’intérêt de maintenir les réseaux de bus conventionnels, il est aussi important de noter que, lors de périodes creuses, la distribution de la demande peut faire que le taux de remplissage ne soit pas suffisant pour atteindre des coûts d’exploitation par passagers comparables. Les minibus (ou autres formes de transport artisanal) peuvent eux, mieux adapter leur offre (en changeant leur vitesse ou en retardant leur départ) et être ainsi moins contraints par des demandes faibles.
Cette double problématique entre la durée de vie des véhicules et les difficultés à maintenir des services modernes performants avait déjà été soulignée par plusieurs études dans les années 2000. Peu d’initiatives ont réussi à inverser la tendance, bien que plusieurs villes se soient engagées dans des processus de renouvellement et/ou de mise en place de réseaux de transports de masse, notamment avec les projets de BRT. L’analyse de SSATP (Sub-Saharan Africa Transport Policy Program, programme de politique de transport en Afrique) réalisée en 2015 sur plusieurs villes africaines, met en évidence les défaillances majeures des réseaux actuels et, de manière générale, le manque de solutions de masse viables.
La solution du renouvellement du parc du transport artisanal
Pour faire face aux problèmes de vétusté des véhicules et d’une faible qualité de service généralisée dans le secteur artisanal, une des solutions souvent avancée consiste en un renouvellement du parc associé à un processus de professionnalisation des acteurs du transport artisanal. Il est à noter que ces initiatives impliquent des processus longs et des efforts conséquents pour les autorités comme pour les exploitants. D’un côté les autorités devront affronter des obstacles qui vont de la disponibilité de ressources financières pour le lancement de programmes, aux difficultés de négociations avec un secteur artisanal souvent réticent à tout type de réforme. De l’autre, les exploitants souffrent de leur atomisation, de conflits internes, de corruption et d’un manque de connaissances qui se traduisent par une opposition systématique aux réformes proposées. Ces difficultés expliquent d’ailleurs le nombre limité d’initiatives réussies ou amorcées.
Malgré cela, les initiatives de renouvellement de véhicule du transport collectif artisanal restent des alternatives réalistes et pertinentes, pouvant avoir des effets positifs sur le moyen et sur le long terme. Le remplacement de véhicules âgés, voire vétustes, répond à l’objectif d’amélioration de la qualité du service, mais aussi à celui de réduction des externalités directement liées à l’état inadéquat du parc. Avec des véhicules en meilleur état, et dans des conditions d’exploitation similaires, les émissions de CO2 et de particules fines diminuent, et les accidents dus aux pannes mécaniques sont moins nombreux. Le renouvellement du parc s’attaque donc autant aux enjeux environnementaux et qu’à ceux de la sécurité routière. Il vise aussi, à l’image du ‘Taxi Recap Programme’ sud-africain, qui offre aux exploitants la possibilité de quitter volontairement le système contre indemnité, à limiter le nombre de véhicules sur les voies urbaines et réduire la suroffre existant dans plusieurs villes.
En plus du remplacement des vieux véhicules, les programmes de renouvellement de véhicules intègrent aussi la professionnalisation du secteur artisanal. La professionnalisation provient le plus souvent d’une volonté des autorités de regrouper un secteur trop atomisé. Celles-ci encouragent le renforcement des capacités des exploitants et un premier niveau de corporisation, avec pour ambition que ces nouvelles formes ou regroupements d’acteurs artisanaux montent en puissance et deviennent des véritables compagnies d’exploitation de transport public. Idéalement, une fois créées, ces compagnies pourront envisager des programmes d’acquisition ou de remplacement de véhicules.
Les opportunités de la mise en place de réseau de bus capacitaires
La mise en place d’axes ou de réseaux de bus capacitaires de type Bus Rapid Transit (BRT) -selon ses différentes formes, est une opportunité d’amorce de changement dans les systèmes de bus des villes africaines. Près de deux décennies après la révolution des BRT latino-américains, les villes africaines, en dépit du nombre de projets annoncés, ont construit peu de systèmes de ce type. Lagos et des villes d’Afrique du Nord ont opté pour différentes formes de BRT, plus ou moins lourd. Dar es Salaam (Tanzanie) et les villes sud-africaines (comme Cape Town et Johannesburg) ont construit des projets privilégiant une adaptation du modèle de BRT de Bogota ou Curitiba. Quant à Dakar (Sénégal) ou Douala (Cameroun), leur orientation récente vers un modèle de BRT leur fait espérer voir leurs réseaux gagner en opérationnalité dans les années qui viennent. Mais quelques soient les exemples, ces nouveaux couloirs capacitaires ont nécessité l’acquisition de véhicules aux spécificités particulières et beaucoup plus exigeantes qu’auparavant.
La mise en place de réseau BRT entraîne des changements à plusieurs niveaux. Tout d’abord un changement en termes de type de véhicule : les autorités montrent un intérêt grandissant pour des bus de plus grande capacité (elles ont tendance à privilégier les bus à plancher haut -articulés ou non-, le choix des véhicules à plancher bas restant aujourd’hui marginal) et sont prêtes à chercher des solutions pour financer leur achat. Puis un changement au niveau du système même : les nouvelles infrastructures doivent être suffisamment qualitatives pour accueillir des bus capacitaires et des nouveaux modèles qui se distinguent des bus et minibus historiques des villes africaines, qui se voient d’ailleurs exclus de ces axes, avec peu, voire aucune perspective d’intégration dans le nouveau réseau. Et, enfin, un changement en matière d’exploitation : les nouvelles compagnies de bus, souvent au capital privé non négligeable, doivent être en mesure d’assurer des services de meilleure qualité, et de mieux respecter certaines réglementations d’exploitation ignorées auparavant.
Le binôme infrastructure-véhicule se situe donc au centre des réflexions et justifie d’un choix ou d’un autre.