Ce chapitre a vocation à identifier les pistes qui permettent de repenser des aspects entiers du système de mobilité. Cela concerne aussi bien l’équipement de véhicules, la gestion de l’exploitation, la relation à l’usager que l’organisation d’une complémentarité avec les autres modes de transports. L’enjeu est d’offrir un service de mobilité de meilleure qualité à un coût moindre.
L’émergence de l’ère numérique offre en effet de nouvelles opportunités. Elle permet d’envisager des sauts technologiques (« leapfrog ») pour le continent africain sans repasser par toutes les étapes de développement suivies dans les pays occidentaux. L’Afrique n’a pas connu certaines révolutions industrielles et n’a pas ainsi d’« héritage technologique» à gérer. Dans une optique d’innovation frugale, elle peut utiliser les dernières technologies et inventer un modèle propre adapté à son contexte. À titre d’illustration, la téléphonie et bientôt l’internet mobile sont devenus une réalité quotidienne pour les citoyens africains. Il y a aujourd’hui plus d’africains qui ont accès au téléphone portable qu’à l’eau potable ou l’électricité.
Il est important cependant de noter que, si ces opportunités présentent un intérêt et une efficience notables, elles ne sont pas incontournables et ne doivent pas être absolument recherchées au risque de réduire la marge d’investissement dans le parc de véhicules.
Elles doivent être pensées dans leurs avantages comme dans leurs inconvénients au regard du contexte local.
Les changements de paradigmes apportés par le numérique sont :
• une information dynamique disponible partout et de manière continue sans la contrainte des supports physiques1 ;
• le smartphone : un ordinateur connecté en temps réel pour un investissement minime2 ;
• la puissance de calcul infinie pour les modèles statistiques alimentés par des données générées en masse ;
• l’émergence des objets connectés.
Le numérique permet (à moindre coût) de très nettes avancées et des gains d’efficacité dans les domaines du paiement mobile et de la billettique, des Systèmes d’Aide à l’Exploitation et à l’Information Voyageurs (SAEIV), de la gestion dynamique de l’exploitation, et même de la maintenance préventive. Compte tenu de ces perspectives et dans le contexte africain encore plus qu’ailleurs, il apparaît essentiel d’associer une réflexion sur le développement d’un volet numérique en accompagnement de projets d’acquisition ou de renouvellement de flotte de bus.
Le paiement mobile et la billettique
Le paiement mobile vient modifier en profondeur la gestion de la billettique. Ce dernier progresse rapidement avec encore des disparités d’un pays à l’autre. Au Kenya par exemple, le taux de pénétration du paiement mobile est de 85%. Cela induit des économies majeures et une flexibilité nouvelle.
La fin des supports billettiques et la dématérialisation de la distribution
Les smartphones vont être à court terme tous être équipés de technologie sans contact (NFC3 ou équivalent) ce qui permettra d’effectuer son paiement via son téléphone mobile. C’est aussi une source d’économie pour les équipements à bord qui peuvent être simplement des smartphones également, connectés via le réseau internet mobile au serveur.
L’ensemble du système de paiement pour les titres de transports est accessible partout en dématérialisé. Cela génère une économie majeure car il n’est plus nécessaire d’équiper les arrêts ou les revendeurs d’équipement billettique ni de gérer la monnaie afférente.
Flexibilité et intégration tarifaire
Autre avantage, le paiement mobile permettra d’adapter la tarification de manière dynamique en fonction de la distance bien sûr mais aussi des horaires et permet de gérer les augmentations tarifaires progressives sans tenir compte des supports pièces ou billets. Cela permet également d’envisager de manière simple des tarifications combinées entre réseaux formels ou informels avec des mécanismes de répartition des recettes automatisables entre opérateurs et autorités.
Fiabilisation et sécurisation des flux financiers
C’est également un moyen de sécuriser les flux financiers, éviter l’évaporation en ligne particulièrement est un enjeu lorsque de l’argent liquide circule.
Amarante – Start-up franco-sénégalaise de billettique
À Dakar, Amarante propose une application de billettique sur smartphone et des imprimantes Bluetooth à bord des bus. Le billet est édité et imprimé par le receveur à chaque fois qu’un passager monte à bord. Ce sont 426 véhicules qui sont équipés. Cela s’est traduit par une augmentation de 40% de recettes pour les propriétaires utilisant le système (moindre « évaporation »).
Source : Analyse du Modèle économique du transport artisanal semi-formalisé à Dakar grâce à l’exploitation des données issues de la solution de billettique iTicket (Amarante) – Amarante et Transitec – Salon ITS 2017
Suivi de la fréquentation, « big data » et prévisions
La mise en place du paiement mobile permet d’avoir un suivi précis de la fréquentation incluant les validations, les origines/destinations en cas de validation en sortie. Cette masse de données permettra de mettre en place un pilotage fin de l’offre de transport qui pourrait s’adapter en temps quasi réel aux besoins de déplacements à travers des modèles statistiques probabilistes court terme. La promesse est de pouvoir se passer des enquêtes de fréquentation complexes et onéreuses. C’est aussi un changement de paradigme en matière de méthodologie puisque l’on passe d’une approche où l’on enquête des échantillons qui sont ensuite redressés pour refléter la réalité à une approche où on a de la donnée exhaustive (« big data ») que l’on intègre directement dans les modèles mathématiques de prévisions de trafic. Les prévisions seront ainsi beaucoup plus précises et permettront d’adapter l’offre à la demande en temps quasi réel.
Le Système d’Aide à l’Exploitation et Information Voyageurs (SAEIV)
Système d’aide à l’exploitation :
Les réseaux de bus classiques en Europe ont développé des systèmes de télécommunication poste de contrôle-bus dédiés (technologie Tetra). Cela induit la mise en place de récepteurs émetteurs embarqués dans les bus, l’installation d’antennes, l’équipement du poste de contrôle centralisé. Dans le cadre de la modernisation ou de la mise en place d’un nouveau réseau de bus, il est envisageable de simplement équiper les conducteurs d’un smartphone pour géolocaliser le bus et transmettre l’information en temps réel au poste de contrôle. Le suivi se fait en temps réel à la manière d’une interface « type Uber » (localisation et représentation graphique en temps réelle des véhicules). C’est bien sûr aussi un moyen de communication simple entre le chauffeur et le poste de contrôle ou avec les agents de circulation permettant de fluidifier et accélérer les interventions en cas d’incident opérationnel, d’accident routier ou de situation de perturbation de trafic impactant l’exploitation des bus.
PYSAE – Start-up française qui propose des solutions de SAEIV low-cost utilisant les smartphones
La solution Pysae
Source et crédit de l’image : Pysae
Information en temps réel :
D’un point de vue de l’information voyageur, les smartphones permettent de recevoir l’information en temps réel ce qui peut permettre d’éviter d’équiper les arrêts de bus de panneaux d’affiches dynamiques ou même de tables horaires puisque l’information est directement accessible via son mobile. Il s’agit d’une source d’économie mais également de flexibilité dans l’exploitation car il n’y a plus la contrainte du support physique.
Accessibilité et personnalisation de l’information voyageur :
C’est également une solution aux enjeux de langues, d’analphabétisme, d’accessibilité pour les personnes atteintes de handicap visuel ou cognitif car l’appli peut devenir un assistant personnel qui s’adapte aux besoins de chacun.
(Source : A. Chèvre)
Intermodalité et intégration des réseaux :
L’échange fluide des données entre opérateurs, les solutions de paiement flexible permettent d’améliorer significativement et de manière fluide une meilleure intégration des réseaux qui sont mieux planifiés, l’information voyageur qui est ouverte. La production de données ouvertes permet ainsi à des acteurs tiers de proposer des services agrégeant et valorisant ces données type calculateurs d’itinéraires accessibles via internet ou les mobiles.
La génération de données massive permettra également aux autorités de mobilités de mieux appréhender les différents réseaux et ainsi renforcer leur dialogue en faveur d’une meilleure régulation.
(Source : Digital Matatus website)
Gestion dynamique : optimisation de l’exploitation et adaptation à la demande :
C’est encore un terrain mal exploré dans les pays occidentaux. Une des promesses du numérique est de pouvoir optimiser l’exploitation du réseau en temps réel en fonction notamment des données de demandes et des conditions de circulation. L’adaptation du service devra intégrer les contraintes en termes de gestion du personnel et de maintenance. Ainsi, une gestion dynamique pourrait se traduire par exemple par :
Une réaffectation du parc sur les différentes lignes en fonction des heures de la journée et des jours de la semaine ou de l’année afin d’adapter l’offre à la demande en temps réel (jours de marché, évènementiels, vacances scolaires, etc.).
Une adaptation des itinéraires en fonction de la demande, en particulier dans les heures creuses.
Intégration physique et tarifaire des différents réseaux et optimisation de la complémentarité entre les différents réseaux.
Les capacités logicielles permettront d’apporter des outils d’aide à la décision permettant un graphicage dynamique et optimisé.
Vers la mobilité « comme service » :
L’objectif des réseaux de bus est de s’insérer dans une vision plus large du système de mobilité. L’émergence de ce que l’on appelle les ‘nouvelles mobilités’ telles que le co-voiturage ou le transport à la demande permet de développer une palette de solution de mobilité entre le transport public et transport individuel. Le nouvel horizon de l’organisation de la mobilité est ainsi le concept de « mobilité comme service ». L’approche est axée sur la demande d’aller d’un point A à un point B avec des algorithmes qui permettent d’orienter vers une palette de solution de mobilité adaptée à chaque déplacement. En termes de planification, la production massive de données sur l’offre et la demande alimenteront des modèles statistiques probabilistes de plus en plus fin qui permettront d’optimiser notamment l’exploitation des réseaux et les circulations en haut-le-pied et par extension les coûts d’exploitation tout en renforçant la qualité de service. D’un point de vue des voyageurs, le numérique permettra de traiter les profils de demande variés par opposition à la réponse traditionnelle des transports collectifs aux flux massifs.
(Source : AFD/Transdev/15 marches)
Maintenance préventive :
C’est encore une dimension peu maîtrisée. L’émergence des objets connectés et de l’internet des objets devrait permettre de monitorer les différentes composantes du bus et alimenter là encore des modèles statistiques afin d’anticiper à travers une maintenance préventive et curative au plus près des besoins (par opposition à une maintenance planifiée). La promesse est ainsi de gagner fortement en fiabilité, en maîtrise des besoins de pièces détachées ou tâches de maintenance optimisées. L’accumulation de données permettra également à termes d’envisager d’améliorer la conception des bus pour les adapter au contexte africain.
Nouveaux services et sources de revenus :
Le numérique permet de proposer des nouveaux services à bord des bus comme le WI-FI gratuit par exemple. C’est un enrichissement de l’expérience voyageur. De manière indirecte, la génération des données massives d’exploitation, de demande, de données des passagers utilisant le WI-FI dans les bus va permettre d’envisager des nouveaux services, de trouver des nouvelles sources de recettes à travers la valorisation de ces données. C’est un enjeu sensible du point de vue de la protection des données personnelles mais les données, en particulier les données personnelles, peuvent être valorisées notamment auprès d’acteurs tiers à des fins publicitaires ou auprès des établissements recevant du public pour anticiper l’affluence. Le dynamisme actuel des start-up africaines ou non permet de prédire de nouveaux usages qui n’existent pas actuellement mais qui pourront émerger si le contexte est suffisamment ouvert.
À retenir
Le numérique permet (à moindre coût) de très nettes avancées et des gains d’efficacité dans les domaines du paiement mobile et de la billettique, des Systèmes d’Aide à l’Exploitation et à l’Information Voyageur (SAEV), de la gestion dynamique de l’exploitation, et même de la demande préventive. Compte tenu de ces perspectives et dans le contexte africain encore plus qu’ailleurs, il apparaît essentiel d’associer une réflexion sur de développement d’un volet numérique en accompagnement de projets d’acquisition ou de renouvellement de flotte de bus.
Le numérique permet un gain significatif de qualité de service offerte au citoyen pour un coût bien moindre que les systèmes classiques. La caractéristique du numérique est de pouvoir traiter la multitude ce qui encouragera une approche intégrée des réseaux et personnalisée pour chaque voyageur « la mobilité comme un service ».
- 99% du territoire mondial est couvert par la téléphonie mobile.
- Un smartphone standard est aujourd’hui un ordinateur plus puissant que celui qui était embarqué dans la navette Apollo qui est allé sur la Lune.
- Near Field Communication, standard en train de s’imposer pour les communications sans contacts.